le scandale du Watergate

Publié le par Eudes

Aujourd’hui j vous présenterai mes voisins de chambrée : Assawin et sa famille.

Assawin… grand directeur devant l’eternel, qui envoie à l’occasion ses jeunes lui acheter des flasques de whisky lorsqu’il se retrouve avec des amis, sur notre terrasse commune. Un homme qui ne s’essaye pas à l’humour absurde, il le vit ! Premier cours d’anglais : ten o’clock. Eleven o’clock, l’heure est passé, il s’en va tout motivé de pouvoir perfectionné son anglais en me gratifiant d’un « thank you teacher see you tomorrow ! » On vit côte à côte toute la sainte journée… Je le rencontrerai 5 minutes plus tard au hasard de mes déambulations péripatéticiennes dans le centre. Du travail, il y a…

Un peu psychotique ou névrosé – je ne maîtrise pas encore la subtile différence. Décrivons le cas, d’autre se chargeront de lui procurer une appellation. Mettre un mot sur son malheur. La pathologie d’Assawin est de s’être trop regardé devant la glace le matin au réveil. Il s’est découvert ainsi un petit truc rose au fond de la gorge que certains qualifieront – peut-être à tort : pourquoi ne serait il pas dans le vrai ? lui contre tous ! – que certains donc, qualifieront de glotte. Pour lui, c’est une excroissance charnue qu’il convient de séparer du reste du corps à grands raclements de gorge. Il racle derrière la glotte, va chercher la puissance de l’extraction jusqu’au limite du supportable, j'en éprouve parfois l'envie de déglutir au simple écho de ce bruit qui s'élève de la salle de bains que je partage, qui traverse ma moustiquaire et qui s'insinue violemment dans mes oreilles encore sensibles au rêve - imaginez l'étrange impression d'une telle sensation alors que l'esprit flirte encore avec l'inconscient, créant des images oniriques merveilleuses que vient briser un raclement de gorge. L’opération dure un bon quart d’heure. Le temps de me réveiller. Il est 6 h du matin…

Sa femme le suit de près. Elle y met un peu moins d’entrain mais sa conviction reste la même. De vaines tentatives suivront tout au long de la journée : la glotte, fatalement, reste en place. Ils ne perdent pourtant pas espoir. L’exercice se répète tout les matins ou presque. J’ai été pour l’instant le seul témoin de ses ablutions matinales – ai-je dis qu’elles commençaient à 6 heure du matin ? Les autres volontaires ont la bienveillance de me croire. Ils acquiescent gentiment au récit troublant de ce rituel qui – je le sais ! – un jour m’emportera !

Qu’est ce que cette excroissance ? Cette anomalie physique au fond de ma bouche ? Ne pend-elle pas dangereusement près de mon palais ? Ne risque-t-elle pas d’endommager l’écrin qui contient tous mes plaisirs gustatifs ? Le doute s’installe en moi comme ce raclement de gorge s’est immiscé dans le demi-sommeil qui précède l’aurore. Une glotte, si peu utile, pourrait retirer de ma vie, si intense, l’orgasme papillaire que je retrouve dans chaque bouchée du Big Mac bangkokien !

L’aurore arrive. Je me lève. Dans le brouillard chaleureux du réveil je me dirige vers la salle de bains. Assawin et sa femme sont partis rejoindre les jeunes. Bientôt le petit déjeuner. La faim se fait sentir, l’étroite pièce bleutée soudain, me fait peur ! Dans quelques minutes je descendrai et rejoindrai, moi aussi, la cuisine, où je partagerai avec tous la pitance bien mérité de ceux qui ont échappés à la demi-mort du sommeil. Sentirais-je alors, la faible saveur du riz ? Le sentiment presque imperceptible qui lentement me fera revenir à la vie. Après l’inconscience bienheureuse de la nuit qui nous enveloppe, vais-je reprendre pied dans la réalité, retrouver mes sensations en goûtant !… à nouveau, à la nourriture – substance première et nécessaire à la conservation de la vie ? Dans la glace, cette glotte si intrigante se fait de plus en plus grosse. Ne m’empêcherait-elle pas l’ingestion de l’élément essentiel à la survie ?

On m’appelle pour manger. Y arriverais-je, seulement ? Cette glotte – mon Dieu ! Cette glotte ! – m’embarrasse. L’angoisse monte, les cris se font plus pressants, la table est préparée, serais je à l’heure pour rencontrer l’ami du petit déjeuner, l’ami Ricoré ? Mon instinct de survie me pousse à tout faire pour conserver, coûte que coûte, cette lumière au fond de mon âme qui déjà se fait plus hésitante, plus faible, je la sens vaciller… Et tout ça ! À cause de quoi ? D’un gros machin rose inusité qui encombre un organe, chéri depuis la nuit des temps par n’importe quel homme en bonne santé qui tient à le rester ? Je n’y tiens plus. Rrrrrk ! Peuh ! Elle est toujours dans ma gorge. Recommençons.

(…)

Me serais-je emporté ? Toujours est il qu’il ne me reste plus que quelques lignes et je me rends compte avec désespoir que j’ai oublié les enfants. Didi et Dada (c’est leurs noms) seront présentés un autre jour. J’aimerais pour le moment vous introduire à ma muse. Le philosophe du doute, méconnu. Il ne lui manquait plus que la barbe hirsute et les sourcils broussailleux pour atteindre la postérité. Celui à qui je dédie ces quelques lignes fiévreuses : Assawin. Dans une pose que j’intitulerais le penseur de Mae Pa. Auguste me pardonnera l’emprunt : nous sommes amis lui et moi. Je lui ai donné 5 euros un jour, dans son jardin.

 

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